Entretien avec le Dr Alexandre Aranda, neurologue spécialiste du sommeil.
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Qu’est-ce qu’une migraine ? Qui est concerné ?
Dr Aranda : Une migraine, lorsqu’elle n’est pas soignée, se caractérise par des maux de tête d’au moins 4 heures et pouvant durer plus d’une journée. Elle se manifeste le plus souvent par une douleur unilatérale (d’un seul côté de la tête) et pulsatile (sensation de battement), d’intensité modérée à sévère, souvent aggravée par le maintien de l’activité en cours et nécessitant en général son arrêt.
Une migraine est généralement associée à certains signes d’accompagnement comme des nausées, des vomissements, une gêne manifeste de la lumière (appelée photophobie) ou encore une gêne liée au bruit (appelée photophonie). Dans certains cas, plus rares, des signes neurologiques transitoires appelés « auras » peuvent se manifester : le plus souvent visuels (tâches, lignes, formes bizarres, …), sensitifs (fourmillements, picotements, …) ou caractérisés par des troubles de la parole. Dans toutes ces situations, une consultation médicale est recommandée. De même, l’apparition brutale et d’intensité d’emblée maximale de ces signes doit faire évoquer une attaque cérébrale (AVC) nécessitant une prise en charge immédiate par le SAMU.
On dit qu’une personne est effectivement migraineuse lorsqu’elle a connu plus de 5 crises de migraines dans sa vie. Cependant, toute personne peut avoir une crise de migraine sans que cela revienne.
10 à 15 % de la population est concernée par les migraines, tout particulièrement les femmes (3 personnes sur 4 sont des femmes). Les migraines touchent plutôt l’adulte jeune, entre 20 et 50 ans. Dans des cas plus rares, elles peuvent toucher l’enfant ou se manifester plus tard, après l’âge de 50 ans.
Malgré la grande fréquence de ce trouble et un diagnostic médical pouvant être établi selon des critères d’interrogatoire simples, la prise en charge se révèle trop souvent complexe et inadaptée. Les patients migraineux restent sous-diagnostiqués avec une tendance préjudiciable au renoncement aux soins et/ou à une prise en charge non optimale. Plusieurs raisons expliquent ce constat: il s’agit d’une maladie dont il est difficile de parler car invisible, le caractère passager des crises, la peur de ne pas être compris ou écouté par les professionnels de santé, l’impression d’être seul à subir ce trouble, l’attitude passive et peu empathique de l’entourage (familial, à l’école, au travail, etc. …) et aussi potentiellement des professionnels de santé.
Quelles différences avec des maux de tête « classiques » ?
La migraine est à distinguer de deux autres types de maux de tête, fréquents :
- Les céphalées de tension : ce sont les maux de tête en étau (sensation de casque), plus latents et sans crise précise, par exemple de stress, de tension cervicale, de trouble de posture, de déshydratation ou suite à une consommation d’alcool. Ces céphalées de tension ne s’accompagnent pas des signes propres aux migraines mais peuvent se manifester sur une durée plus prolongée.
- Les céphalées chroniques quotidiennes : On parle de ces maux de tête lorsque les douleurs de type céphalées de tension se manifestent pendant plus de 3 mois, plus d’un jour sur deux. Dans cette situation, on retrouve des plaintes plus diffuses et handicapantes avec un retentissement psychologique, cognitif (troubles de la mémoire, de l’attention etc.) et social.
- Les céphalées de tension et les céphalées chroniques quotidiennes peuvent être associées à la migraine. Cela ne doit pas être négligé et à rechercher systématiquement par le professionnel de santé.
Comment se soignent les migraines ? Existe-t-il des traitements ?
Il est possible de distinguer deux catégories de traitements :
- Les traitements de crises : ils ont pour objectif de « casser la crise » de migraine, dès le début de sa survenue [1].
- Les traitements de fond : cherchent à réduire ou arrêter en prévention les crises, leurs fréquences mais aussi leurs intensités. Pour cela, il est recommandé de bien évaluer le cadre médical global du patient (âge, contexte médical, contexte des loisirs et de type de profession, autres pathologies actives ou traitement en cours, …). La durée de traitement sera de plus de trois mois et en général un an avec l’objectif de réduire d’au moins 50% le nombre de crises et aussi le handicap chronique quotidien autour des crises [2].
- En complément de ces traitements : des mesures adaptées d’hygiène de vie est essentiel.
Le traitement d’une migraine diffère de celui d’une céphalée de tension dans le sens où, pour cette dernière, il est souvent nécessaire de traiter le ou les facteurs sous-jacents (par exemple : le stress, le manque de sommeil ou encore le manque d’hydratation).
Quelle que soit la nature des maux de tête, connaître le bon traitement et, surtout, éviter l’abus médicamenteux est primordial pour ne pas provoquer l’apparition de céphalées chroniques quotidiennes. Une évaluation médicale auprès d’un neurologue ou d’un médecin de la douleur est nécessaire.
Le recours et le choix du traitement est malheureusement trop souvent envisagé de manière non adaptée. La recherche et l’identification du traitement efficace et son organisation pratique pour et par le patient sont des éléments prioritaires de la prise en charge médicale.
Des mesures de suivi et de détection précoce des crises, de ses facteurs déclenchants, sont également essentielles. Ceci passe par une information adaptée au patient et des mesures d’éducation thérapeutique (autodiagnostic et autosoins par exemple).
Quels sont les facteurs favorisant les migraines ?
Plusieurs familles de causes se distinguent :
- Le rythme de vie : le sommeil, les troubles du sommeil, des horaires décalés, le surmenage, etc.
- Des facteurs psychologiques : stress, anxiété, etc.
- L’environnement : sensibilité aux néons, à la météo, etc.
- L’alimentation : saut de repas, repas non équilibrés, mais aussi certains aliments (par exemples : les œufs, les sauces, l’ail, les sulfites dans l’alcool ou encore les aliments gras). Une approche approfondie en nutrition et micronutrition est à envisager si besoin.
- Pour les femmes, il existe aussi un facteur hormonal : des migraines liées aux règles ou encore liées à l’ovulation (en cause : la variation des œstrogènes).
- La contraception peut améliorer/voire aggraver/ou laisser inchangées les migraines. La collaboration entre le généraliste/gynécologue/neurologue est alors nécessaire.
Quelles sont les conséquences des migraines ?
Les crises de migraine ont un fort impact sur le quotidien de ceux qui en souffrent qui se traduit par :
- De la douleur.
- Une perte de productivité au travail mais aussi dans les activités du quotidien (selon une étude américaine, le cout annuel liée à une migraine par patient est de 500 dollars environ par personne, avec une perte de productivité de plus de 80%)
- Un risque d’isolement avec absentéisme (professionnel, loisir, familial) par le fait qu’il s’agisse d’un handicap invisible et peu compris.
- Un risque cardio-vasculaire plus important en cas d’association de migraine, contraception oestro-progestative et tabac.
Plus spécifiquement, quels sont les liens entre migraines et sommeil ?
Les liens entre le sommeil et les migraines sont multiples. Un manque ou un mauvais sommeil peut favoriser la survenue de migraine. De même, une pathologie du sommeil non diagnostiquée, une mauvaise hygiène de sommeil ou encore une dette de sommeil chronique sont des facteurs évidents et connus de déclenchement de crises de migraines et d’aggravation d’une maladie migraineuse. Non pris en charge, ces facteurs peuvent dans certains cas être à l’origine d’un cercle vicieux favorisant la fatigue, le risque de dépression, l’isolement etc.
Plus précisément :
- Environ ¼ des personnes souffrant de migraines chroniques souffrent de ronflements sévères et présentent un risque d’apnées du sommeil.
- Pour les céphalées au réveil ou migraine du réveil chez les patients apnéiques, on observe une disparition du trouble dans 90% des cas lors de la mise en route du traitement efficace (PPC par exemple).
- 50 % des patients migraineux se plaignent d’insomnie (liés aux maux de tête ou encore à certaines fragilités psychologiques, modes de vie, facteurs liés à l’environnement).
- Certains liens ont également été mis en évidence avec les parasomnies comme le somnambulisme (prédisposition génétique commune).
Quid des apnées du sommeil ?
La fréquence de la migraine chez les patients apnéiques est peu connue. Le risque d’apnée du sommeil devient plus important chez les patients migraineux de plus de 50 ans. Les migraines du réveil ou nocturnes doivent le faire évoquer. Les données scientifiques doivent être complétées.
Toutefois, l’expérience médicale du quotidien montre que, lorsqu’un patient migraineux souffre également d’apnée du sommeil, la prise en charge du trouble du sommeil a un impact souvent très positif sur ses migraines.
L’altération du sommeil (dette de sommeil, apnées du sommeil, etc.) augmente le risque cardiovasculaire. La présence de migraines, associées par exemple à du tabagisme, augmente aussi ce risque. La prise en charge du patient à ces différents niveaux améliorera à la fois sa qualité de vie, le risque cardiovasculaire et la survenue d’autres pathologies.
Quels messages souhaiteriez-vous faire passer ?
Bien dormir est primordial pour bien vivre ! En cas de pathologie de migraine, ce message prend d’autant plus de sens.
Des conseils pour le quotidien :
- Apprendre et connaitre son sommeil et notamment anticiper la dette de sommeil grâce à des horaires réguliers et un temps suffisant de sommeil chaque nuit.
- En cas de dette de sommeil, éviter les grasses-matinée pour « compenser » le manque de sommeil en 1 fois. L’anticipation est plus efficace.
- Ce conseil permettra d’éviter l’« effet rebond », c’est-à-dire par exemple la crise de migraine du samedi matin après avoir cumulé une dette de sommeil tout au long de sa semaine associée à une mauvaise hygiène de vie.
Pour les professionnels de santé :
- Interroger systématiquement les patients migraineux sur leur sommeil.
- Les maux de tête comme les plaintes de sommeil doivent nécessiter une évaluation médicale rigoureuse et un bilan adapté (notamment par polysomnographie quand nécessaire).
- Savoir rechercher et traiter l’apnée du sommeil pour tout patient à risque et notamment les patients migraineux de plus de 50 ans chez qui cette pathologie est très fréquente.
- Maintenir une surveillance : le handicap lié au mode de vie est toujours plus flou et difficile à évaluer pour un médecin. Maintenir une vigilance et repérer le handicap invisible ou résiduel des plaintes migraineuses est essentiel pour une prise en charge optimale du patient.
En cas de suspicion d’un trouble du sommeil, apporter au patient les conseils (modes de vie, hygiène du sommeil) et orientations nécessaires pour un diagnostic et une bonne prise en charge.
NE PAS OUBLIER : Les migraines se manifestent essentiellement en journée. Ainsi, chez un patient qui se plaint de migraines pendant la nuit, en fin de nuit ou au petit matin, il est important de vérifier la présence d’un éventuel syndrome d’apnée du sommeil sous-jacent. Cette recherche doit également être faite en cas de migraine décompensée (c’est-à-dire qui se caractérise par une augmentation inhabituelle de sa fréquence et de son impact sur le quotidien et la qualité de vie) et après 50 ans. |
Enfin, poursuivre les recherches pour mieux comprendre les liens entre sommeil, troubles du sommeil et migraine est nécessaire et indispensable. Ces maladies, par leurs fréquences, le handicap généré dans le quotidien des personnes qui en souffrent et leurs impacts sur la société sont des enjeux de santé publique.
Ce sujet vous intéresse et souhaitez en savoir plus ?
Quelques liens utiles pour continuer à vous informer :
SFEMC : société française d’étude des migraines et céphalées
Association France Migraines
- [1] Anti-inflammatoires non stéroïdiens ou paracétamol) et, en l’absence de contre-indications du médecin les triptans (anti-migraineux spécifiques basés sur la sérotonine).
- [2] Plusieurs traitements existent comme le propanolol (beta-bloquant), topiramate (antiépileptique), amitriptyline (antidépresseur), oxétorone (antisérotonine). Plus récemment, un nouveau traitement antimigraineux spécifique par biothérapie avec le Erenumab a été commercialisé pour les formes réfractaires.
Références : Buse & al ; Sleep disorders among people with migraine: results from the chronic migraine epidemiology and outcomes (CaMEO study). Headache 2019, 59, 32-45. Russell & al, Headache in sleep apnea syndrome: epidemiology and pathophysiology. Cephalalgia 2014, 34, 752-755. Sand & al, Sleep apnea and chronic headache. Cephalalgia 2003, 23, 90-95. Kristiansen & al, Sleep apnea headache in the general population. Cephalalgia 2012, 32, 451-458. Goksan & al, Morning headache in sleep apnea: clinical and polysomnographic evaluation and response to nasal continuous positive airway pressure. Cephalalgia 2009, 29, 635-641. Rains & al, Sleep and Migraine: Assessment and Treatment of Comorbid Sleep Disorders. Headache 2018, 58, 1074-1091.